« J’ai mal au cœur de quitter Janneau »
Après 41 années à distiller et gérer les stocks d’armagnacs de la Maison condomoise, Philippe Sourbès se retire, le cœur gros. Il rejoint la Maison Barbancourt et son rhum, en Haïti. Rencontre
Derrière sa silhouette d’ancien troisième ligne, Philippe Sourbès ne peut cacher son émotion. Après une vie passer dans la Maison Janneau, le Condomois fait valoir ses droits à une retraite qu’il aurait imaginée un peu plus loin. Les circonstances économiques et les choix des actuels actionnaires ont contrarié ses projets.
« Je suis entré chez Janneau en 1979, se souvient Philippe. J’avais 21 ans. J’ai été accueilli par Pierre Janneau. Un homme extraordinaire, intelligent. Un grand monsieur qui savait se mettre à la portée de tous et qui avait toujours un mot pour chacun. » Le jeune homme débute au chai, en tant que distillateur : « je faisais rouler les barriques, je conduisais l’alambic. »
Un travail qu’il apprend aussi aux côtés du patron : « Pierre Janneau n’était pas que le PDG, il était le maître de chai. Il nous faisait collecter des échantillons dans différentes barriques pour réaliser ses assemblages. C’était extraordinaire de bosser avec lui. »
De la vie de l’entreprise condomoise, Philippe Sourbès a tout vécu, du rachat par Martell, puis Seagram, avant l’Italien Giovinetti. Et enfin l’arrivée de Spirit France « et son actionnaire principal russe », glisse Philippe. « Moi j’ai continué à faire mon boulot, je faisais tourner la distillerie, je m’occupais de l’achat des vins à distiller et j’étais responsable du vieillissement. » En quelques décennies il est devenu la pièce indispensable à la Maison Janneau.
A 61 ans, Philippe Sourbès a devancé l’appel de la retraite. « Parce que j’ai le cœur gros, avoue-t-il. J’ai connu cette entreprise au temps de sa splendeur. Lorsqu’elle était numéro 1, locomotive aux États-Unis et en Asie. Et maintenant je la vois au plus bas. » « Je ne comprends pas que l’on ait pu se défaire des locaux de Condom (NDLR : la Maison originelle au cœur de Condom). Nos vieilles eaux-de-vie ont été vendues aux États-Unis.»
« Pour toutes ces raisons je préfère partir, » glisse le responsable de la production.
Mais un départ pour une destination plutôt surprenante. « C’est vrai, je pars travailler pour la Maison de rhum Barbancourt en Haïti. J’ai appris par la société Sofac (ndlr, fabricant d’alambic à Condom) qu’elle cherchait un maître de chai. » La suite a été très rapide. Plusieurs premiers contacts à distance puis un séjour de deux semaines à Port-au-Prince et l’affaire était nouée. Philippe, le distillateur armagnacais, file en Haïti.
« La technique est la même, s’amuse celui qui dirigera un alambic loin de son Gers natal. Il faut simplement remplacer le vin par le jus de canne à sucre. » Philippe se réjouit à l’idée de rejoindre « une belle Maison qui traite avec beaucoup d’égards ses quelque 300 employés. Leur approche et leur accueil m’ont séduit. »
Le 31 mars, Philippe Sourbès a arpenté pour l’ultime fois les chais de stockage de Janneau. « Je suis tellement dégoûté que je pars sans regrets », lance-t-il, un brin désabusé, en jetant un dernier coup d’œil sur ses eaux-de-vie à laquelle il a donné les plus belles années de sa vie.
Philippe Sourbès quitte l’armagnac pour le rhum (photo PhC)