Visionnaire, Francis Darroze
(Ndlr : voilà deux ans, pour ArmagnacNews, Francis Darroze acceptait de nous rencontrer. Pour parler de lui, de rugby, d’armagnac. De sa vie… Voici cet article) Ph.C.
Fils d’une famille de restaurateurs emblématiques du Sud-Ouest, l’enfant de Villeneuve a pris son envol au début des années 70. Pour devenir un négociant d’armagnac porté par des valeurs de partage et d’humanité.
Il suffit de prononcer trois syllabes magiques, celles qui construisent le mot armagnac, pour que s’enflamment les yeux de Francis Darroze. Entre Pays basque maternel et Landes paternelle, l’enfant de Villeneuve-de-Marsan balade sa sagesse et ses souvenirs. Un regard sur une histoire, la sienne, assurément influencée par un père, Jean, particulièrement présent.
Dans les années 50-60, le restaurant de ce dernier était plus qu’une très bonne adresse. Plutôt un phare dont les faisceaux attiraient à lui, par-delà la forêt, les épicuriens de tous horizons.
Chez Darroze, on était chef de cuisine ou l’on n’était pas. Ainsi Francis et ses frères Pierre et Claude, travaillaient-ils avec les parents à Villeneuve. « Vous savez, plaisante Francis, à cette époque, lorsque le père vous disait, tu travailleras au restaurant…tu travaillais au restaurant. » Plutôt en salle pour Francis dont les qualités de dégustateur font de lui un sommelier et responsable de la carte des vins, dont on dit qu’elle était une des plus belles de France.
Demi de mêlée du Stade montois aux côtés des frères Boniface, finaliste du championnat face au Racing club de France en 1959, Francis est bien dans sa vie de jeune landais et rêve d’espaces plus libres qu’au restaurant de Villeneuve. Mais, en ces années 60, « les parents n’envisageaient pas de parler de succession. » Alors les frères ont pris leur envol. Pour Francis, une seule évidence : « l’armagnac ». « Depuis longtemps j’entretenais de très bonnes relations avec les propriétaires dont on proposait les eaux-de-vie à notre carte. Et je conseillais les copains. »
Francis se lance. Pour ne pas s’éloigner de son épouse pharmacien à Roquefort et rencontrée à la Table familiale, il s’installe dans ce Bas-Armagnac landais. Il achète deux pièces d’eau-de-vie. « J’avais confiance en son projet, glisse son épouse. Il était passionné et compétent. »
Habité par cette valeur de confiance encore aujourd’hui signature des armagnacs Darroze, Francis développe une démarche originale : « je vendais les armagnacs des producteurs de la région en mettant en avant leur savoir-faire, la qualité de leurs produits », explique-t-il. Une idée aussi simple que généreuse, à l’image de ce Landais jamais aussi heureux que lorsqu’il réunit sa famille, ses amis, pour déguster des mets, des armagnacs et cette vie qu’il savoure depuis 87 ans.
Dans les années 80, Francis Darroze a tenté un coup, « en achetant 500 pièces d’armagnac que vendait un producteur. Je n’avais pas un rond mais les banques m’ont suivi ». « J’avoue que j’étais un peu inquiète, murmure son épouse, mais il savait ce qu’il faisait, même si cet investissement coûtait beaucoup plus cher que ma pharmacie… » L’aventure sera payante et donnera un coup de pouce à la démarche de Francis Darroze. « Vous savez, il faut dire aussi que j’ai été aidé par mes amis de la restauration. Les plus grands, à l’image de Jean Troisgros, ont privilégié mes armagnacs. »
En quelques années la signature Darroze sur les bouteilles d’eau-de-vie s’est imposée dans tout l’Hexagone. « Sans que mon mari ne prenne une seule fois sa valise pour aller démarcher, » plaisante sa femme. Une autre époque, sans doute. Mais aussi la qualité d’un visionnaire, d’un homme d’aventure et d’humanité qui toute sa vie privilégia la relation. Avec les producteurs « qui me demandait, « bon, Francis, tu veux que je t’en distille combien cette année ? »
Une confiance qu’il a offerte à son fils Marc, aujourd’hui à la tête de l’entreprise. « On ne faisait rien l’un sans l’autre, dit le père. Je suis très fier de voir combien il développe notre Maison. » Un regard tout aussi fier qu’il porte sur sa fille Hélène, la chef renommée, qui poursuit côté cuisine l’autre aventure Darroze.
Plus près des vents d’ouest du Golfe de Gascogne dans ce Pays basque de sa maman, il garde néanmoins un regard de passion sur l’armagnac. Ceux de son fils bien sûr, mais pas uniquement. « C’est une eau-de-vie puissante et complexe, d’une belle typicité et d’une grande variété, s’exalte-t-il. Nous devons être conscients de la richesse de l’armagnac. »
Le gamin de Villeneuve, le numéro neuf des jaune et noir reste fidèle à quelques valeurs transmises dans la cuisine paternelle.
Le courage et la fierté le disputent volontiers à l’engagement et la passion. Francis Darroze en somme.