Vous avez dit Ténarèze ?
Ils sont éleveurs d’eaux-de-vie et enfants de Ténarèze. Ils ont accepté de partager leur questionnement sur la réalité des terroirs de l’armagnac et plus particulièrement du leur. Un temps de pause et de réflexion en pensant à l’avenir. Enrichissant.
Avouez-le, vous aussi vous avez ouvert le dico ? Pardon, vous avez tapé « Ténarèze » dans la barre de recherche et avez trouvé ceci : « voie préhistorique du Sud-Ouest de la France qui permettait de joindre Bordeaux et l’Océan Atlantique aux Pyrénées centrales. Chemin de transhumance, cette route permettait de circuler sans franchir ni pont ni gué. » Rajoutons pour les puristes que cette voie suit la ligne de partage des eaux entre le bassin de la Garonne et celui de l’Adour. Ça c’est fait, comme dit la jeune génération ! La Ténarèze est aussi le nom d’un des trois terroirs de l’armagnac, avec le Bas-Armagnac et le Haut-Armagnac.
Ces définitions, Philippe Fezas, propriétaire du domaine de Chiroulet à Larroque-sur-l’Osse, Patrick Giacosa, à la tête du domaine du Courréjot à Condom et Michel Maestrojuan du domaine Bordeneuve-Entras à Ayguetinte, les connaissent par cœur. Ils ont sans aucun doute appris à lire avec ces mots. Ils sont enfants de la vigne et de ce terroir, passionnés et éleveurs d’armagnac.
Depuis quelques temps déjà, ils échangent leurs points de vue et leur questionnement autour de cette dénomination : Ténarèze. Ils ont accepté de nous inviter à leurs rencontres… toujours accompagnées de dégustation d’eaux-de-vie. Passionnant.
« Nous appartenons à un des trois crus de l’armagnac qui s’appelle Ténarèze, qu’est ce que cela signifie ? Est-il normal qu’un cru ne soit pas mieux localisé ? » Le débat est lancé par Philippe Fezas. Patrick Giacosa oriente la discussion sur le sol : « le nôtre est argilo-calcaire, homogène dans sa délimitation, dans son climat, car situé au cœur du terroir armagnacais. » Michel Maestrojuan poursuit sur ce terrain : « le lien se construit en effet par rapport aux autres sols. L’argilo-calcaire amène une qualité de vin et in fine une qualité d’eau-de-vie. »
Les dégustations vont bon train et les remarques aussi. Philippe n’hésite pas à rapporter des commentaires recueillis à la question « c’est quoi pour vous un armagnac Ténarèze » ? Bribes de réponses : « il faut attendre 20 ans pour le boire », « une eau-de-vie puissante », « rustique dans les premières années », « elle s’ouvre en vieillissant », « elle est élégante ». Chacun y va, sans fard, sans tabou. Michel revient au terroir, à la vigne. Il n’en démord pas : « le vin se fait à la vigne. C’est le beau raisin qui fera le bon vin. Aujourd’hui les viticulteurs ont accompli suffisamment de progrès, grâce à la technologie, pour se permettre d’être peu interventionnistes dans le chai. Nous sommes capables de faire le vin idéal pour la distillation qui est très différent de celui pour le consommateur. » Michel défend l’idée que trop de technique amènent des erreurs.
« Nous avons ce terroir à disposition, il faut le mettre en avant »
Son copain Philippe enfourche le même chemin : « on sait quel vin il faut pour faire un bon armagnac. Et on laisse faire les choses en oubliant la technique. On maîtrise la simplicité dans le vin nature. » Michel enfonce le clou : « on est capable de faire simple pour que le produit soit simple. »
La conversation devient plus gouleyante entre Blanche de Courréjot et eaux-de-vie brunes de Chiroulet ou Bordeneuve. Lorsque fuse l’interrogation « mais alors, la meilleure maîtrise technologique, la prise de conscience de la place laissée au temps, à la nature, traduisent-elles que les armagnacs d’aujourd’hui et de demain seront meilleurs que ceux des générations précédentes ? » Les sourires et regards des Armagnacais précèdent la (les) réponse(s). Pas si simple mon bon monsieur.
Les armagnacs seront marqués par « plus de constance, plus de régularité », pour Michel qui explique que les mauvaises surprises seront beaucoup plus rares. Patrick résume cette vision en affirmant qu’il y aura « beaucoup moins de “moins” dans le futur. » En provocateur que nous savons être, nous poussons alors une autre question : « ce Ténarèze, dont vous louez les qualités, faudra-t-il continuer à le mettre en avant auprès du consommateur ? » Philippe n’hésite pas : « non si nous ne sommes pas capables de dégager un “style” Ténarèze. Mais je réponds oui si nous atteignons une récurrence à travers des produits qui identifient ce terroir. »
Patrick n’imagine pas écarter la dénomination Ténarèze « sur les marchés haut de gamme, auprès des amateurs. En revanche, sur les marchés plus vastes, c’est un bon armagnac qu’il faut promouvoir. » Attentif aux analyses de ses deux compères, Michel souligne que certains négociants vendent des armagnacs assemblés avec des eaux-de-vie du Bas-Armagnac et de Ténarèze « en sublimant les qualités de chacun». Mais l’Armagnacais d’Ayguetinte est catégorique : « nous avons le terroir Ténarèze à disposition, avec sa force, ses spécificités. Il faut le mettre en avant. »
La discussion et la dégustation ne font plus qu’une. Comme les meilleures eaux-de-vie gasconnes, l’échange dégage puissance et éclectisme, vérité et engagement. Une étape seulement d’une réflexion que Michel, Patrick et Philippe poursuivront. Assurément.
Avant de se quitter, une dernière petite taquinerie : « mais au fait, cru ou terroir la Ténarèze ? » La discussion rebondit… mais ceci est une autre histoire !