Le Chais de Muret prend de la hauteur

Henri Corderoy du Tiers est un homme de passion. Pour l’armagnac familial de Perquie mais aussi le pilotage d’avion. Et ce ne sont pas les difficultés qui arrêtent ce Gascon. Rencontre

Il nous accueille les bras grands ouverts devant le chai familial. Un immense sourire sur les lèvres. C’est sa façon à lui de communiquer. Henri Corderoy du Tiers est sourd. Un handicap avec lequel il compose depuis sa plus tendre enfance mais qui n’a jamais entamé son enthousiasme. Au point qu’il s’est battu pour assouvir une passion tenace pour les nuages. Entendez par là qu’il a toujours rêvé d’aller les tutoyer à bord d’un engin volant qu’il piloterait lui-même.
Mais il y a trente ans, la législation française ne le permettait pas aux personnes mal-entendantes sauf à co-piloter en permanence avec un instructeur à ses côtés. Trop restrictif pour Henri qui a connu ses premières émotions à la lecture des aventures de Saint-Exupéry. Alors, Henri Corderoy se rend aux États-Unis. Là-bas, obtenir un diplôme de pilote, même en étant sourd, est possible. Il le décroche en 1990.
Dès lors, il n’a de cesse que de le faire valider en France. Le combat sera long, mais victorieux. Il devient le premier pilote sourd reconnu en France. Il est d’ailleurs aujourd’hui le président de l’aéro-club des sourds de France, en région parisienne. Et avoue un certain plaisir à survoler régulièrement sa propriété de Perquie pour la photographier de là-haut.
C’est avec la même énergie qu’Henri Corderoy du Tiers a repris le flambeau armagnacais familial. Une histoire vigneronne qui se perpétue depuis 1724 sur le vignoble de Gaube, commune de Perquie, dans le Bas-Armagnac landais. Henri a succédé à son père Jacques-Pascal, avec la ferme intention, maintenant qu’il vient de prendre sa retraite de chez Dassault Système où il travaillait pour le programme Catia, de donner un second souffle à son petit vignoble de quatre hectares. Du baco, bien sûr, mais aussi un peu de colombard et d’ugni blanc. La famille Serres, des vignerons voisins, entretiennent les vignes d’Henri Corderoy depuis plusieurs générations. Jean-Christophe est aujourd’hui à la baguette. Mais Henri veille lui-même, avec les conseils d’une œnologue, à la distillation, au vieillissement de ses eaux-de-vie.
Un joli petit stock de près de soixante-dix pièces vieillit dans le Chais de Muret face à l’église Saint-Martin-de-Gaube. Une à deux pièces sont vendues tous les ans. A des restaurateurs, des cavistes, des clients fidèles. Des bruts de fûts toujours, des 100 % baco souvent. De jolies eaux-de-vie caractéristiques de ce terroir de sable fauve.
Henri le dit sans détour : « je souhaite poursuivre sur la voie ouverte par mon père avec des armagnacs sans concession, des millésimes qui reflètent chaque récolte, chaque pièce. » Si la vendange 2021 risque d’être perturbée par un gel dévastateur, l’ambition d’Henri reste intacte. Il sait prendre de la hauteur et se battre contre des vents pas toujours porteurs.
Il nous donne rendez-vous dans les mois et années qui viennent avec ses armagnacs Chais de Muret, dans la pure tradition de ce coin des Landes, et cette force, mère de tous ses engagements.

Henri Corderoy dans son chai de Perquie (photo Ph.C.)