Quatre décennies d’armagnac et d’engagement
Dans quelques jours, François Faget tirera sa révérence. Après 43 années consacrées à la production d’armagnac mais aussi aux autres. Rencontre avec le Condomois.
Si les tempes grisonnent un peu, le sourire et le regard balancent toujours entre malice, générosité et un brin d’espièglerie. En ce matin d’automne, alors que les colombard et ugni blanc matûrent en rêvant d’alambic, François nous accueille sur son domaine de Pomès-Pébérère, à Condom.
« C’est mon arrière-grand-père qui a acheté cette propriété, lance-t-il tout de go. Il s’était expatrié sur le coup… lui qui était originaire de Gondrin » (soit environ une vingtaine de kilomètres de là, Ndlr) le ton est donné.
Le viticulteur est donc la quatrième génération de Faget au château Pomès-Pébérère. Une exploitation de polyculture, au départ, que son papa, Louis, transformera en 100% viticole dans les années 60. François s’installe (juridiquement) en 1979, mais « à l’époque j’étais encore étudiant, se souvient-il. Je venais de quitter le confort du lycée Bossuet à Condom pour rejoindre la prestigieuse école Purpan de Toulouse où mes parents m’ont inscrit. »
De son propre aveu, « le premier trimestre a été assez laborieux. « Nous nous sommes retrouvés, avec trois ou quatre autres copains, dans une promo de types qui avaient préalablement fait des prépa. Nous n’étions franchement pas au niveau et nous n’avions pas une énorme envie de bosser… » Jusqu’à la convocation du directeur à Noël. « Le Père jésuite nous a gentiment expliqué que si nous voulions rester dans la maison il allait falloir s’y mettre un peu », s’amuse François. Il s’y est mis le Condomois et trois ans plus tard sortait de Purpan diplôme en poche.
C’est donc en 1982 qu’il devient véritablement vigneron. « Franchement, je n’avais pas imaginé un autre avenir, glisse-t-il. Mais au-delà du métier, je crois que c’est ce pays que je n’aurais pas pu quitter. » Un métier qu’il n’a « jamais mal vécu même si cela n’a pas toujours été facile. »
Plus jeune président du BNIA
De ses premiers pas en Armagnac, il retient « la période où les vins côtes de Gascogne ont commencé à se structurer, à devenir des vins de qualité reconnus. » Nos façons de travailler ont évolué, nous nous sommes équipés techniquement, nous avons enrichis nos vignobles de nouveaux cépages. Et notre activité agricole est devenue plus rémunératrice. »
Cette évolution, pour autant, n’a pas écorné la vocation armagnac de Pomès-Pébérère. Après son père et ses aïeux, François a poursuivi l’élevage des eaux-de-vie qui sont pour lui « nos racines de base ».
Vigneron, le Condomois l’est assurément. Engagé et aux services des autres, tout autant. « Sans doute mon éducation et mon passage chez les Jésuites, plaisante-t-il. On nous a inculqués la notion de partage. Nous faisions partie d’une certaine « jeunesse dorée ». Il était important de partager, d’aider, d’être attentifs aux autres. »
Cet engagement se matérialise chez François par une participation active au mouvement Jeunesse Agricole Chrétienne. Puis syndicalement, il rejoint les Jeunes Agriculteurs et très vite la Chambre d’agriculture du Gers lui ouvre ses portes.
Un parcours rapide qui fera de lui, dans les années 90, (1995-1998) le plus jeune président du BNIA (Bureau National Interprofessionnel de l’Armagnac). Un passage remarqué entre les mandats d’illustres présidents, Maurice Papelorey et Yves Bentegeac, ce dernier saluant « le courage de François Faget à la tête du BNIA », lors de son arrivée à la tête de l’interpro.
Vingt-cinq ans plus tard, le Condomois garde en mémoire « un voyage au Japon que sans doute je n’aurais jamais fait », mais aussi un conflit pour lequel il fût pris à partie, celui de la Maison Janneau. « A l’époque mes propos ont sans doute été mal compris. Mais une réforme était nécessaire dans cette entreprise (que venait de racheter l’Italien Armando Giovinetti, Ndlr). J’ai essayé d’expliquer que la variable d’ajustement ne pouvaient être les fournisseurs pour récupérer de la marge et conserver une masse salariale trop importante. »
François Faget est aussi à l’origine de la COVAC (dont il fut le premier président), « une association syndicale qui rassemblait toute la viticulture qui avait la fâcheuse habitude de parler de plusieurs voix ». Avec cette casquette il a fréquenté de nombreux ministères et se souvient d’une réunion musclée avec un certain Nicolas Sarkozy.
« S’attaquer au prix d’achat du vin de distillation. Si on ne trouve pas une solution pérenne on hypothèque sérieusement l’avenir. »
Une vie riche, « faite de compromis permanents », et de rencontres « au cours desquelles j’ai beaucoup appris professionnellement et humainement », reconnait l’Armagnacais. A une période « où mes interlocuteurs, mes collègues, étaient plus âgés que moi. Bien souvent, au BNIA, j’avais l’impression d’être davantage le secrétaire que le président (éclat de rire). Mais finalement j’ai progressé dans l’art d’organiser le débat et de ne pas prendre parti pour la famille dont tu es issu (la production en l’occurrence, Ndlr), tout en la défendant aussi. »
Un rôle d’équilibriste formateur. D’ailleurs, au détour de l’échange, François lance un message amical au futur président du BNIA : « la première qualité est d’être à l’écoute de tout le monde. Ensuite, il ne faut pas avoir peur de prendre des initiatives ». Quant au dossier à gérer prioritairement, selon François Faget, il ne surprendra personne, tant il court depuis que l’armagnac existe : « s’attaquer au prix d’achat du vin de distillation. Si on ne trouve pas une solution pérenne on hypothèque sérieusement l’avenir. »
A quelques jours de tirer le rideau sur sa vie de vigneron, l’Armagnacais ne distille aucune amertume, pas davantage de regrets ou de sentiment nostalgique. « C’est un cycle naturel et normal, dit-il. Il faut juste bien gérer sa sortie. » Ce qu’il fait.
« J’ai choisi de conserver la propriété, l’outil de travail. Ma fille a un autre destin que la viticulture, mais qui sait, peut-être que des petits-enfants auront un jour envie de relancer notre aventure familiale. ». François a trouvé un jeune viticulteur armagnacais, voisin de Pomès-Pébèrère, qui lui louera les 47 hectares de vignes. Une satisfaction.
Le Condomois reconnaît « ne jamais avoir su vendre (mes) produits » et aurait « préféré donner (mes) armagnacs à celui qui venait à la propriété ». « Commercial, je l’ai été par force et à contrecœur. Je pense que c’est une des explications possibles à la difficulté de vendre de l’armagnac. Ce n’est pas dans le tempérament des Gascons. Nous sommes aux antipodes du commerce, à moins que nous soyons trop fiers ou orgueilleux pour faire ce métier. » Chacun jugera.
L’ancien président de l’interprofession regarde l’avenir de l’armagnac avec lucidité. « Le marché est intéressant mais nos stocks diminuent. Il faut donc mieux organiser la production, nouer des relations avec la source pour planifier les années à venir. Nous sommes donc obligés de nous entendre sur le prix d’achat du vin à distiller », ponctue le Condomois, infatigable défenseur de la cause de la famille des producteurs.
François Faget se retire sur la pointe des pieds. Après plus de quatre décennies de passion pour l’eau-de-vie gasconne, il va, plus que jamais, privilégier le temps long. Celui qui sied à ses meilleurs millésimes qu’il continuera à goûter, à bichonner, dans ses chais de Pomès-Pébérère.