L’armagnac est l’âme de la Gascogne
Écrivain, œnologue, enseignant, Pierre CASAMAYOR conserve des yeux de chimène pour l’eau-de-vie Gasconne.
Mon père était intendant de l’hôpital de Tarbes. Souvent, il ramenait à la maison des bouteilles de vins de Madiran, de l’armagnac. Sans doute mes premières dégustations », sourit le Bigourdan. Étudiant, le jeune Casamayor quitte son Tarbes natal et rejoint Toulouse pour des études en sciences physiques.
« Nous avions une trentaine d’années lorsqu’avec des copains du labo, nous avons découvert l’existence d’un diplôme en œnologie », se souvient le prof universitaire. Les copains s’alignent au départ de cette formation, Pierre Casamayor termine major de la promo. « Alors j’ai basculé de la physique vers l’œnologie ». Nous sommes en 1986, le jeune prof Casamayor commence à enseigner l’œnologie, « entre climatologie et dégustation ».
Il donnera des cours durant vingt-cinq ans. « On s’appuyait beaucoup sur les vins de la région, sur l’armagnac. » Une eau-de-vie dont il partage la passion avec Fernand Cousteau, la plume gastronomique de la Dépêche du Midi, avec qui il écrira un bouquin, « décidé après un bon repas ». « L’amateur d’armagnac », un ouvrage co-écrit pour lequel Pierre Casamayor a rencontré de nombreux Armagnacais, « Les Laberdolive, Darroze, Lafitte… ».
Éclectique et érudit, l’écrivain publie également deux autres ouvrages autour des rhums et des whiskies. Sa verve et sa connaissance du milieu du vin lui valent alors une proposition de chronique mensuelle au sein de la référente Revue des Vins de France (RVF) pour laquelle il collabora durant 36 ans ! « Un immense plaisir, commente-t-il. Pendant toutes ces années, j’ai audité des centaines de propriétés, connues ou pas, et l’occasion de goûter de très grands vins. »
L’armagnac ne reste jamais très loin de Pierre Casamayor. Ses amis Brumont à Madiran et Miquel, sommelier de l’Hôtel de France d’André Daguin à Auch, se rappellent souvent à lui. L’œnologue est régulièrement invité à participer au jury du concours des grandes eaux-de-vie à Eauze. Cet armagnac qu’il qualifie « d’âme de la Gascogne ». « C’est un produit identitaire. S’il existe un produit de terroir c’est bien lui, avec ses qualités et ses défauts, son individualisme et parfois son côté collectif. » « Parfois produit de niche, parfois en manque d’ambition », dit encore le Bigourdan.
En dégustateur qu’il est, il pointe « une découverte sans fin », « une gamme aromatique qui varie d’un armagnac à l’autre. Pour moi c’est une qualité, commercialement le manque d’homogénéité n’est pas toujours facile à vendre. »
Du haut de son riche parcours, Pierre Casamayor note de nombreuses évolutions. Il n’a pas oublié « cette époque où dans les grands restaurants, on vous offrait l’armagnac en fin de repas. On pouvait y voir un geste commercial ou une eau-de-vie difficile à vendre. Finalement, c’était un bon moyen de le faire connaître. »
L’œnologue salue aussi l’évolution de la blanche armagnac en qui il voit « beaucoup d’avenir ». « Nous sommes à l’ère du cocktail. L’imagination est au pouvoir et ce nouveau produit connaît un beau succès auprès des barmen. Mais la blanche est exigeante et ne souffre pas la médiocrité. Elle est aussi, dégustée seule, un très bel exercice pédagogique qui permet de découvrir et comprendre chaque cépage de l’appellation. »
Pour lui, « la blanche est aussi une opportunité » pour les trésoreries des Armagnacais : « s’ils commercialisent bien leurs blanches, cela leur permettra de travailler leurs vieux armagnacs, de financer l’élevage. » Il commente l’effet « yo-yo » que connaît le marché de l’armagnac depuis des décennies. « Aujourd’hui, la période est plutôt faste avec une filière qui se détourne du produit agroalimentaire industriel au profit de produits plus terroir. C’est une bonne chose. Même si le péché originel de l’Armagnacais perdure, à savoir qu’il est bien meilleur dans son savoir-faire que dans le faire savoir. Mais le fait, par exemple, que les cavistes mettent de plus en plus en avant les petits producteurs est un signe intéressant. »
Le professeur d’œnologie n’écarte pas la question du bio, « même si cela n’est pas simple. Les Armagnacais devront répondre à une demande qui grandira », et pas davantage celle relative aux (parfois) trop fortes consommations d’alcool. « Tout est question d’éducation. Je vais vous donner un conseil simple : pour passer une bonne soirée entre amis, servez-vous 5 cl d’un bon armagnac. Vous allez le regarder, le humer, le goûter, et renouveler plusieurs fois ces gestes. Au final, vous aurez passé une très belle soirée, en dégustant, pourquoi pas, plusieurs armagnacs. Ainsi, vous aurez pris du plaisir tout en respectant votre santé. »
La passion pour l’eau-de-vie gasconne chevillée au palais, l’œnologue invite à aborder l’avenir en déclinant les mots originalité, singularité et qualité. « La profession doit évidemment rester vigilante quant à la qualité des produits et ne pas oublier les leçons du passé. L’armagnac doit aussi garder sa place dans les plus beaux restaurants. Quant au millésime, il faut tout faire pour éviter qu’il disparaisse. Car il raconte l’histoire, il est le porte-drapeau. Or, dans chaque armée, on peut se passer du fanion, pas du porte-drapeau. »